Olaf l'original
(Catherine I)
Un salon-
Olaf (la cinquantaine sportive, tenue de footing, une petite queue de cheval et une mèche bleue sur le devant que, debout vers la cheminée, il examine dans une glace de poche) : Je sentais que l'orange me siérait mieux.
Corinne (la trentaine, avachie dans ses fauteuils vis-
Olaf : Tu t'en tires toujours comme ça au lieu de donner des conseils utiles.
Corinne (agressive) : Si j'en donne, tu les traites d'idiots.
Olaf : Ils sont idiots... c'est en cela qu'ils sont utiles... Tu es la vox populi...
le porte-
Corinne : Si tu continues sur ce ton, je vais enlever ma robe de chambre chez le voisin.
Olaf (il sort un peigne d'une poche intérieure et pour ainsi dire se caresse les
cheveux avec) : Des menaces... A mon âge... tu pourrais me ménager au moins; j'ai
cinquante-
Corinne : Coquet. Quarante-
Olaf : Non mais tu y étais ?
Corinne : Et puis je suis avec toi pour finir de t'user mon chéri, pas pour te ménager. (Câline :) Tu sais comme j'aime t'user ?
Olaf (rangeant son matériel dans sa poche intérieure et s'avançant vers elle) : La
lubricité et l'étoile !... Dans ta vie terne, sans idées, sans idéal, reconnais-
Corinne (sarcastique) : Tout ça pour une mèche bleue... Chéri, Sylvia m'a encore
raconté son week-
Olaf (s'asseyant sur le bord du fauteuil sur lequel elle a les pieds) : Comme tu
es matérialiste. N'es-
Corinne (tendrement) : C'est toi mon âme, Olaf. J'ai une âme à queue de cheval et à mèche bleue, je n'en voudrais pas d'autre. Non, côté âme, vraiment je n'ai pas à me plaindre.
Olaf (piqué) : Côté corps non plus, je pense ! Encore hier soir...
Corinne : Tu m'as attaché les mains pour que je n'abîme pas ton bronzage.
Olaf : Dame, au prix qu'il m'a coûté. J'ai un mal fou pour obtenir une belle couleur.
Corinne (boudeuse) : Normalement, c'est pas pour ça qu'on attache une femme.
Olaf (sévère, de dressant) : Corinne, tu sais que j'ai horreur des sous-
Corinne (pleine d'espoir) : Dépassons les sous-
Olaf (docte) : Le vice est banal. Il est la fausse originalité de ceux qui ne savent que débouler la pente. Nous, nous construisons un amour sain, imaginatif, nous vivons dans l'invention, la création.
Corinne : Olaf, rien que pour t'écouter parler, ça vaut la peine de vivre avec toi.
Olaf (brusquement distrait) : Oui... Je crois que je vais mettre le tee-
(Il sort.
La porte d'entrée s'ouvre et restera ouverte. Entre en bombe Marcel, la trentaine, bon vivant, criant d'une voix étouffée.)
Marcel : Cori, Cori, Cori... Oh ma mignonne, comme il t'a parlé méchamment.
Corinne (faussement étonnée) : Parce que tu écoutes à la porte !
Marcel (s'emparant de sa main) : Au prix des micros miniatures... Oh, j'ai aimé quand tu l'as menacé de venir enlever ta robe de chambre chez moi.
Corinne : Tu aimes tant que ça les robes de chambre ?
Marcel (câlin) : Dis, pendant qu'il se pomponne... tu l'enlèves...
Corinne : Dans une salle de séjour !
Marcel : Eh, après tout, tu es chez toi.
Corinne : Pas toi.
Marcel (fâché) : Corinne, assez d'enfantillages... Enlève ta robe de chambre et tout de suite !
Corinne : Bien, maître.
(Elle se lève, vaincue, prend un peu de distance par rapport à Marcel et d'un seul coup ouvre et fait tomber la robe de chambre. Elle apparaît tout habillée, en un élégant tailleur rouge à boutons blancs.)
Marcel (sidéré) : Oh.
Olaf (rouvrant la porte de sa chambre, il apparaît complètement nu) : Ah ! On l'a encore eu !
Corinne (très pudique, yeux baissés, voix douce) : Je suis contente de lui avoir procuré ce petit plaisir.
Olaf (avançant fièrement, il se dandine) : Pauvre Marcel, regarde avec quoi tu dois
concourir. (Il se tourne complaisamment.) Toi, qu'est-
Marcel (se remettant) : Vingt ans de moins.
Olaf : Ça ne suffit pas.
Marcel : J'ai le temps... Je te la prendrai.
Olaf : Rêve, bonhomme.
Corinne (à Marcel vexé qui s'en va) : Ne perdez pas espoir, Olaf m'agace souvent,
c'est peut-
Olaf (prenant Corinne dans ses bras et l'embrassant) : Sale garce, torturer ainsi ce pauvre escargot.
Corinne : D'habitude tu l'appelles limace.
Olaf : Il m'a fait pitié alors j'ai choisi un terme plus gentil.
Corinne : Oh qu'il est beau, mon Olaf. J'aime te tripoter.
Olaf : Attention au bronzage.
Corinne : Je veux griffer.
Olaf : Non, pas les griffes ! (Il s'échappe et court dans la chambre dont il referme la porte.)
Corinne (allant fermer la porte extérieure) : J'aurai son bronzage, c'est décidé.
(Surgissent les amis. Apparence colorée et soignée. Hommes à queue de cheval, femmes comme chauves avec des sortes de fibules perçant outre les oreilles les lèvres, le nez, les joues. Vêtements unisexes à bandes bleues, blanches et rouges avec des motifs sportifs, des noms d'universités américaines...)
Zappy : Salut Coco.. Je viens pour que tu me souhaites mon anniversaire. (Comme elle sourit et va tenir les propos d'usage, il l'attrape et l'embrasse à pleine bouche.) Ah ... Où est Olaf ?
Corinne : Heureusement pas dans cette pièce.
Première Walkyrie du percing : Pourquoi ? Il n'aurait pas aimé ?
Deuxième Walkyrie : Et toi Coco ? Tu as aimé ?
Zappy : C'est mon anniversaire, tout est permis.
Troisième Walkyrie : J'aime pas tes anniversaires.
Corinne : Il va venir et je vais lui raconter.
Rony (moins baraqué, plus jeune que Zappy) : On lui cassera la gueule.
Deuxième Walkyrie : On lui mettra des fibules.
Corinne : C'est l'anniversaire de Zappy, pas le sien.
Zappy : Mais je veux que tout le monde en profite.
Corinne : Pour moi j'en ai assez profité... Je n'ai pas de champagne, je vous préviens, rien à offrir.
Zappy (la lutinant) : Tu devrais venir avec nous. Tu serais superbe en quatrième de mes Walkyries.
Corinne (fuyant) : J'aime être la first lady.
(Rony survient par derrière et l'attrape.)
Rony : Cadeau pour Zappy !
Zappy (enlaçant Corinne) : Vivons passionnément l'instant présent.
Le choeur des Walkyries (chantant) : Ahi aho... ahi aho...
(Entre Olaf; il a un tee-
Olaf : Tiens. Corinne a commencé de ne pas s'amuser.
Troisième Walkyrie (courant embrasser Olaf) : Moi non plus je ne m'amuse pas, mais personne ne le remarque.
Olaf (gentil) : Toi, lâche tes macs et retourne travailler à ta boutique.
Zappy : Sans mâle elle s'ennuie;
Troisième Walkyrie (Léa) : C'est vrai, Olaf. (Caressante :) Ah, si tu venais avec moi...
Corinne (qui s'est dégagée) : Dis donc la Nitouche du percing, sur le canapé avec les deux autres, vite fait.
(Léa s'exécute.)
Les deux autres Walkyries, chantant : Ahi aho... ahi aho...
Zappy : C'est mon anniversaire, Olaf.
Olaf (indifférent) : Ah ?
(Soudain Zappy tente une prise de judo qui est maîtrisée aisément par Olaf. Tous deux, mains dans mains, emploient toutes leurs forces pour déstabiliser l'autre.)
Les trois Walkyries sur canapé : Ahi aho... ahi aho...
Rony : Je viens aussi Zappy, hein ? Je peux venir ?
Zappy (soufflant) : Il a encore de la force, le pépé.
Corinne (qui s'est assise sur son fauteuil, ironique) : Ahi aho...
Rony : Vas-
Zappy (hargneux) : Vas-
(Il est brusquement déstabilisé par Olaf.)
Première Walkyrie (mezzo, déçue) : Ah !
Deuxième Walkyrie (stridente, apeurée) : Ah.
Troisième Walkyrie (médium; contente) : Ah.
Corinne (ironique) : Ahi aho.
Zappy (renonçant brusquement et Olaf le lâche aussi) : D'accord, je garde les 600 F que je t'ai empruntés.
Olaf (pas content) : Tu ne rends jamais.
Zappy : Tu gagnes toujours.
Rony : C'est juste, Zappy a droit à une compensation.
Première Walkyrie : Et comment ! Olaf l'a brutalisé !
Deuxième Walkyrie : Le jour de son anniversaire !
Corinne (ironique) : Le pauvre !
Première Walkyrie : L'homme aux grosses fesses devant et derrière doit encore donner 600 F.
Zappy (digne) : Je ne demande rien, mais ici on ne m'a pas offert le champagne;
Deuxième Walkyrie : Juste des actes d'odieuse brutalité.
Rony : Si au moins il avait gagné.
Olaf : D'accord, j'offre l'argent du champagne. (Il va à un petit meuble et prend l'argent dans un tiroir.) Voilà 400 F. Bon anniversaire, Zappy.
(Zappy arrache presto l'argent de la main d'Olaf, lui fait un gros bisou et s'enfuit avec sa tribu.)
Première Walkyrie : Ahi aho...
Deuxième Walkyrie : On a gagné !
Rony : Chez qui on va maintenant ?
Troisième Walkyrie : A bientôt Olaf.
(Brusque silence.
Un temps.)
Corinne : Ça te plaît de te laisser rouler ?
Olaf : Ne sont-
Corinne : Est-
Olaf : Tu n'aimes plus mes fesses ? Ce sont vraiment les miennes, tu ne les reconnais pas ?
Corinne : Tu veux te faire donner de l'argent par qui ?
Olaf : Je voulais te faire une surprise, ninine. Photographie de mes propres fesses
pendant que tu paressais à ton institut de beauté, design du tee-
Corinne : Tu as idée de toutes les grossièretés à dire sur...
Olaf : Voir mes fesses portées par tout le monde... tu imagines ?
Corinne : Jamais je ne porterais ça !
Olaf : Oui, mais toi, ma chérie, grâce à moi tu as les moyens des grands couturiers. Tu peux faire de l'effet autrement.
Corinne : Mais tout de même, Olaf, un homme avec ce...
Olaf : Ça prouve qu'il ne craint personne. Un vrai de vrai ! Alors il peut les montrer.
Corinne (résignée) : Bon.
Olaf : Ton attitude négative me décide. Allez, 100 000 à vendre au bord des plages !
(La Vieille passe la tête par la porte d'entrée.)
La Vieille : Dépravé !
(La Demi-
La Demi-
Vieille : Et dépravé !
(Quart-
Quart-
(La porte finit de s'ouvrir. Quart-
Vieille , Demi-
(Elles entrent, par rang d'âge, la plus vieille d'abord.)
Vieille : Honte sur la famille !
Demi-
Quart-
(Elles viennent s'aligner face à Olaf. Lentement leurs bras montent et des doigts accusateurs se pointent sur lui.)
Vieille , Demi-
Quart-
Demi-
Vieille : Ton père n'a pensé qu'à jouir. Il n'a pas le sens des responsabilités.
Quart-
Demi-
Vieille : Un lubrique.
Vieille , Demi-
Olaf : Et allez donc ça recommence. Qui vous a permis d'entrer, vieilles peaux ?
Quart-
Demi-
Olaf : Es-
Quart-
Vieille et Demi-
Quart-
Vieille , Demi-
Olaf : Ah, cette juge était une autre folle quand elle vous a confié la garde de Jacquot. Vous en faites une poupée. Vous le rendrez stupide. Et probablement pédé.
Quart-
(Elle est à demi penchée, comme accablée. Les deux autres vieilles prennent la même
position avec la main sur les yeux. Et toutes trois se mettent lentement à tourner
autour d'Olaf -
Demi-
Vieille : Elle a renoncé à vivre par amour pour lui.
(Toutes pleurent.)
Quart-
Demi-
Vieille : Elle s'est sacrifiée pour l'enfant.
Vieille , Demi-
(Toutes accélérant le mouvement et pleurant plus fort :)
Quart-
Demi-
Vieille : Il paie le moins possible sa pension alimentaire.
Quart-
Demi-
Vieille : Elle s'est sacrifiée pour toi.
(Vieille et Demi-
Vieille , Demi-
(Un temps.)
Olaf : Pauvre Jacquot, il lui faudra trois enterrements avant d'apprendre à rire. Et elles ont la vie dure... Bon, vous voulez de l'argent comme d'habitude et comme tout le monde ?
Quart-
Olaf : Son dû c'est mon héritage s'il se montre bien mon fils, sinon rien du tout.
Quart-
Olaf : Rendez-
Quart-
Olaf : Si mon chéri, il t'en donne, mais il voudrait que tu ne sois pas un petit vieux de six ans. Il faut bien que j'essaie de te tirer de là.
Vieille , Demi-
Corinne (depuis un moment elle semble apeurée, comme perdue; criant) : Olaf !...
Donne-
Olaf : Me laisser escroquer par les harpies ? Je dois penser à mon fils !
Vieille , Demi-
Corinne : Ce n'est pas vrai.
Vieille : Il couche avec des femmes qui se font payer cher.
Demi-
Quart-
Vieille , Demi-
Quart-
Corinne (criant) : Ce n'est pas vrai !
(Les trois Vieilles éclatent d'un rire méchant en la montrant du doigt.
Brusquement Corinne s'enfuit -
Olaf : Bravo. Vous attaquer à cette brave fille. Vous n'avez donc honte de rien ?
Léa, la troisième walkyrie, entrant : C'est un coup monté par Zappy, Olaf. Des journalistes les attendent à la sortie et si tu n'as pas payé devant témoins, tu seras en prison avant ce soir. Avec la publicité qui te sera faite, ils ont prévu que toutes tes affaires couleraient.
(Olaf pâlissant va vite vers la fenêtre.)
Olaf (il regarde) : C'est vrai, ils sont cachés dans la porte cochère à côté mais je les aperçois.
Léa : Paie vite Olaf !
Quart-
(Un temps.)
Olaf : Tu témoignerais, Léa ?
Léa : ...Je ferai ce que tu veux, Olaf.
Olaf : C'est toi qui me préoccupes, tu vas te couper de tes amis, ils diront que tu les trahis.
Léa : Ce n'étaient pas de vrais amis, juste des rencontres de désastre.
Olaf (lui posant les mains sur les épaules) : Je ne pourrai même pas t'aider, leur avocat dirait que je t'ai achetée.
Léa (lui posant aussi les mains sur les épaules) : J'ai tout de même été capable de garder ma boutique, Olaf. Je vais y retourner... Mais toi, tu risques de tout perdre.
Olaf : C'est le seul moyen de sauver mon fils. Je gagnerai.
Léa (doucement) : Bonne chance, Olaf.
Olaf (doucement) : Bonne chance, Léa.
(Elle se détache et se dirige vers la porte de sortie.)
Quart-
Demi-
Vieille : Il a vu la pute de son père, il sait où va son argent !
Olaf (brusquement en rage, il saisit une embrasse de rideau et se met à frapper les
Vieilles) : Allez-
Quart-
Demi-
Vieille (fuyant) : Il bat même une vieille femme comme moi !
Quart-
(Un temps.)
Léa (doucement) : A bientôt, Olaf.
Olaf : Au revoir, Léa.
(Elle sort.
Un temps.
Rentre Corinne. En madone du piercing. Elle s'est à moitié rasé les cheveux, a mis
une fausse fibule dans ses narines (à l'évidence elle s'est arrêtée là par manque
de temps); en outre elle a revêtu un tee-
Olaf (d'abord médusé, puis amusé; tendre) : C'est bizarre de voir ses rondeurs sur celles de sa femme.
Corinne : Je crois que je vais te coûter beaucoup moins cher, Olaf... à moins que tu n'aimes que les femmes chères ?
Olaf (s'asseyant en la prenant dans ses bras) : Je t'aime toi, Corinne.
Corinne : Je voulais te dire... Tu as la plus merveilleuse mèche bleue et la plus gracieuse queue de cheval de toute la planète.
Olaf (riant) : Me voilà enfin avec des qualités.
Corinne : Je ne serai jamais comme elle, n'est-
Olaf (sombre, la serrant fort contre lui) : Moi aussi... mais j'ai peur.
FIN