La Fuite éperdue de Charles-
(Marina III)
Hallucination comique
(La seule pièce au monde où il faut être hué à la fin pour faire un succès.)
1
Une place semi-
Entre Charles-
Charles-
La statue (aimablement et ironiquement) : Vous êtes bon danseur.
Charles-
La statue (logique) : On ne voit rien dedans, l'objectif est en bronze.
Charles-
La statue : ...
Charles-
(Entre Anabela, auburn, plantureuse. Elle est vêtue d'une jupe très courte, chère, et d'un chemisier blanc. Elle court presque.)
Anabela (qui arrive devant la boutique de vêtements) : Ah il n'a pas ouvert ! C'était
bien la peine de me presser... Bon sang, je m'assiérais bien un peu. (Elle regarde
autour d'elle pour trouver un endroit propice. Ses yeux s'arrêtent un instant sur
Charles-
Charles-
(Anabela allait s'asseoir mais sous le regard de Charles-
Anabela : Non, ici, c'est la place Saint-
Charles-
(Elle a regardé la statue et a brusquement une idée. Elle monte sur le piédestal
et va s'asseoir sur les genoux de la statue. Air mi-
Anabela : Je suis vendeuse dans le magasin de vêtements, là.
Charles-
Anabela : Je n'ai pas eu le temps de me changer avant de venir... la nuit a été... youpi !
Charles-
Anabela : Vaut mieux faire envie que rester toute seule, s'pas ?
Charles-
Anabela (qui s'en fout) : Dans l'arrière-
Charles-
Anabela : Oh, entre nous c'est du passé. Non, mais que les clients n'aillent pas se faire des idées... des idées de nuit en plein jour. On tient un magasin correct, vous comprenez ?
Charles-
Anabela : Pourquoi est-
Charles-
(Il danse d'énervement.
Un silence.)
La statue : C'est un jour férié.
Charles-
La statue : C'est le jour de l'armistice.
Charles-
La statue (fâchée) : J'peux pas tout savoir.
Anabela : Ah oui ! Oh... j'ai trop... cette nuit... Comment est-
Charles-
Anabela (fâchée de la question) : T'as vu la taille de ma jupe ?
Charles-
La statue (lui soufflant) : Ce n'est pas une intellectuelle.
Charles-
Anabela : Seulement celles qui m'intéressent. (La statue, hilare, lui pose une main sur une cuisse.) Hé, tu enlèves ta main, toi !
La statue (hilare, enlevant) : Eh oui, le jour est levé.
Charles-
Anabela (compatissante) : Ces gens s'étaient peut-
La statue (amusée) : Tu parles.
Charles-
Anabela : Et eux, ils ne pouvaient pas savoir que c'était férié ?
Charles-
La statue : Belle famille.
Anabela (à la statue) : Cesse de bouger que je reste un peu assise tranquille.
La statue (railleuse) : Je suis de bronze, pas de bois.
Anabela : Ah... bon. (Elle se lève. La statue rit.)
Charles-
La statue : C'est écrit, là.
Charles-
La statue (fâchée) : J'peux pas tout savoir ! (En confidence :) Je n'ai que six mois.
Charles-
Anabela : En tout cas, il n'est pas là depuis longtemps.
La statue : Non, un mois; d'abord on m'a inauguré à un carrefour, puis il a été question de réaménager le coin, je ne sais quoi, bref on m'a posé là.
Anabela : En petit, mais c'est à peine gravé : Zoologiste.
La statue : M'étonnerait, j'aime pas les bêtes, elles viennent toutes faire leurs besoins contre moi.
Charles-
Anabela : Pourtant c'est écrit.
Charles-
La statue (venant vérifier) : J'avais jamais remarqué ça. C'est sûrement une erreur. Je me vois plutôt astronome, moi. J'aime pas les chiens. Photographe d'étoiles, j'ai dû être quelque chose de ce genre. Si j'avais vécu c'est ce que j'aurais voulu être : photographe d'étoiles.
Anabela : Moi, j'aurais voulu être policier.
Charles-
Anabela (têtue) : Non, -
Charles-
Anabela (à Charles-
Charles-
Anabela : Qu'est-
Charles-
La statue (ironique) : Alors il a gagné.
Charles-
La statue : Et maintenant ?
Anabela : Finalement, tu rentres chez toi ?
Charles-
Anabela (trouvant une idée pour le calmer) : Renseigne-
La statue : Oui, fais le tour du monde.
Anabela : Je pensais plutôt à acheter quelques magazines croustillants, si tu vois ce que je veux dire ?
La statue : ... ? ... Je n'ai que six mois.
Charles-
(Tout d'un coup il se met à courir droit devant lui, sort de le place.)
Anabela (inquiète) : Attends. Je ne peux pas courir comme ça avec cette jupe ! (Elle sort en courant plus ou moins.)
La statue : Tant pis pour ma fonction publique, j'y vais aussi. (Il se met à trotter pesamment dans la même direction que les deux autres.)
2
Dans une rue-
La scène est vide.
Charles-
Charles-
Anabela (entrant dans la rue, essoufflée, elle le voit et s'arrête) : Première fois que je cours après un homme. D'habitude j'ai juste à raccourcir la jupe.
La statue (entrant à son tour, évidemment pas essoufflée du tout) : Ah vous voilà.
C'est que je ne saurais pas retourner à mon socle sans vous. Où sommes-
Charles-
Anabela (regardant la plaque) : Tiens, c'est vers chez moi aussi.
La statue (montrant du menton) : C'est là qu'on vous coiffe comme ça ?
Anabela (pas contente) : Comme quoi ?
Charles-
Anabela : Et le souci constant de la taille des jupes des autres. Ouais, je vois... Je lui ai même dit ses vérités un jour...
Charles-
Anabela (levant un oeil irrité) : La quoi ?
Charles-
La statue : Oui, mais la quoi ?
Anabela : En somme vous êtes une victime de mon ennemie. Je me sens envers vous un devoir de solidarité.
La statue : Je sais, moi, à peine né, que la femme légitime a la morale pour elle.
Anabela : Eh bien un devoir immoral.
La statue : Qu'est-
Charles-
La statue (montrant Anabela) : Elle va trouver.
(Mémère aux bigoudis arrive par la rue de côté avec Gandin et Greluche, leurs grands enfants.)
Mémère aux bigoudis (à ses enfants) : Qu'est-
Greluche : Alors, papa, tu fais de belles affaires les jours fériés ?
Gandin (d'un ton suffisant) : Même moi, à l'école, j'ai entendu parler du 8 mai.
Anabela : Et qu'est-
Gandin : ... ?
Mémère aux bigoudis : Et en plus il est avec la...
Anabela (menaçante) : La pute ! C'est ce que tout le monde dit. La pute !
Mémère aux bigoudis : Eh bien, si tout le monde le dit...
Gandin (se penchant pour regarder sous la jupe) : Ça vaut le coup d'oeil.
Greluche : Pauv'mec.
Anabela (à Charles-
Mémère aux bigoudis : Partir ? Où ça ? Tu t'imagines que je vais te laisser piquer les sous ?
Charles-
Mémère aux bigoudis : Pas question. Allez, ouste, à la maison !
Gandin et Greluche : A la maison !
Charles-
La statue : On en vient.
Charles-
Anabela : Y a rien par là.
Mémère aux bigoudis (hurlant) : Oh vous, mes amies, mes semblables, montrez-
Les Chouettes (hululant, chuintant, comme vous voulez) : Ouououh.
Mémère aux bigoudis : Je vais rester toute seule avec les gosses, sans un rond !
Les Chouettes (hululant) : Ouououh.
Charles-
Première Chouette : Menteur !
Deuxième Chouette : Lâche !
Troisième Chouette : Saligaud !
Toutes les Chouettes (hululant, chuintant) : Ouououh !
Charles-
Mémère : Mes affaires ce sont leurs affaires ! Je veux qu'elles te jugent !
Charles-
La statue : Mais non. Par là on revient ici.
Anabela (montrant la rue d'où est sortie Mémère et ses enfants) : Venez chez moi, j'habite juste là.
Première Chouette : Le demeuré et la pute ensemble !
Deuxième Chouette : On devient envahies par les dégénérés.
Anabela : Ni pute ni demeuré, tas de Chouettes ! On sait rêver, nous. Voilà la différence.
Première Chouette : Et le rigolo, là, qu'est-
La statue : Geoffroy de Saint-
Troisième Chouette (à Mémère) : Si tu dois laisser ses amis s'installer chez toi, ils finiront par te chasser !
Mémère : Sûrement pas !
Deuxième Chouette : Il va falloir raccourcir ta jupe pour lui plaire !
Mémère : Y a pas d'risque !
Première Chouette : Ils vont grimper dans les étoiles à trois, sans toi !
Mémère : J'aurais pu être star de cinéma, star de la chanson, star de la télé, je lui ai tout sacrifié et il m'abandonne !
Les Chouettes, Gandin, Greluche (hululant) : Ouououh !
Mémère : S'il avait un accident, il se rachèterait, j'aurais les indemnités.
Charles-
La statue : Il vaut combien.?
Mémère (sortant de son sac une liste à la fin de laquelle La statue regarde un chiffre) : T'as l'argent ?
La statue : Je n'aurais pas cru qu'il valait quelque chose.
Anabela (regardant aussi) : Elle le fait cher son moins-
Mémère : Et alors ? Faut qu'on vive une fois débarrassés de lui.
Anabela : Il y a le divorce.
Première Chouette : Il ne paierait pas !
Deuxième Chouette : Pas assez.
Troisième Chouette : Le laisse pas filer !
Mémère : Il faut le juger !
Greluche : L'obliger à rester !
Gandin : L'attacher !
(Les premières Chouettes sortent dans la rues. Elles bouchent le côté par lequel
Charles-
Première Chouette (encore en haut, hurlant) : Je juge qu'il va avoir un accident ! (Elle descend.)
Toutes les Chouettes (joyeuses, hululant) : Ouououh.
Deuxième Chouette (sortant) : Cet homme était un monstre.
Mémère : Il m'a trahie. Il n'a pas réussi dans la vie !
Les Chouettes (menaçantes) : Ouououh !
(Toutes les Chouettes sont sorties. Elles avancent sur le trio.)
Charles-
Anabela : Vous êtes devenues folles !
Première Chouette : Il voulait abandonner sa famille !
Deuxième Chouette : Eh bien on va l'aider.
(Charles-
La statue : Mesdames, je vous en prie, restons humains.
Les Chouettes (de plus en plus excitées, haineuses, crescendo) : Ouououh.
Troisième Chouette : Mais t'es en quoi, toi ?
La statue (vexée) : Pour être de bronze, ne n'en suis pas moins homme.
Troisième Chouette : Un robot ?
La statue (vexée) : Je ne suis pas programmé, moi, je suis un bronze libre.
Anabela (à Charles-
Les Chouettes (devenues folles, crescendo) : Ouououh !
Charles-
Deuxième Chouette : Il se moque de nous !
Première Chouette : Alors ce sera la dernière fois !
(Elles foncent sur Charles-
Arrivé au bout de la rue, il saute sur la péniche, rejoint par les deux autres.
Minette -
Minette (aux Chouettes) : N'essayez pas. Vous sautez sur ma péniche, je tire. (Les Chouettes s'arrêtent.) N'y pensez même pas. Je leur accorde le droit d'asile... Filez !
(Les Chouettes commencent de reculer.)
Mémère (hurlant, à Charles-
Première Chouette : On ne le lâchera pas.
3
Dans la péniche. Deux vaches, chacune dans un box. Bien sûr des bidons de lait.
Charles-
Anabela (entrant essoufflée) : Capitaine ! Capitaine ! Tempête de force 2 ! Qu'est-
Charles-
Anabela : Mais il y a des vagues !
Charles-
Minette (entrant, apeurée) : Le bateau va couler, c'est sûr.
Anabela : Mon métier, c'est vendeuse, pas matelot.
Minette : Moi, je suis la propriétaire mais je n'avais jamais quitté le quai. Je sers juste à faire joli à la barre.
Charles-
Anabela : Et alors ?
Charles-
Minette (allant s'effondrer sur la banquette) : Oh ! ça balance...
Anabela : Ici, pas trop, mais là-
Charles-
Minette : On va couler, c'est sûr.
Anabela (à Charles-
Charles-
Anabela : Oui, mais je trais les vaches.
Charles-
Minette : Charles-
Charles-
Anabela : Mais décide ! Puisque c'est toi la casquette ! Tu as dit que tu savais naviguer.
Charles-
Minette : Ooooh
Anabela : Enfin, tu as le permis de mer ?
Charles-
Anabela (plantée devant lui) : Je vois. Alors, la tempête...
Charles-
Anabela (allant s'effondrer sur la banquette) : Que je regrette mon magasin minable.
Charles-
Minette : Ooooh
Charles-
Anabela (qui n'éprouve pas les difficultés de Minette) : Mais non, Charles-
Charles-
Anabela : Elle n'est pas monotone, je vends des robes.
Minette : Moi j'aime la monotonie.
Charles-
La statue (entrant, un appareil photographique au cou) : Elles sont là ? Ah, j'en
étais sûr. Je ne maîtrise plus rien, là-
Charles-
La statue : Mais non, j'étais à la barre.
Charles-
Minette : Le mien.
Anabela : Tout de même il faut quelqu'un à la barre ! J'y vais.
(Anabela sort. La statue prend sa place sur la banquette.)
Charles-
La statue : Encore tes sornettes !
Charles-
Minette : Eh bien moi je travaille pour remplir le frigo. Je ne vois pas d'alternative.
Charles-
Minette : A trente ans je commence de le craindre.
Charles-
Minette : Mais non. Elle est normale elle aussi.
Charles-
Minette : ... J'aime raconter ma vie, je peux ?
Charles-
Minette : L'un de vous serait-
Charles-
Minette : Avec du rhum dedans.
Charles-
(Rentre Anabela.)
Anabela : Capitaine ! Terre en vue !
Charles-
(Brusquement un choc et un grand bruit.
Les quatre manquent de tomber.)
Anabela : On y est.
Charles-
Minette : Je m'en souviendrai de cette croisière.
Anabela : Charles-
Charles-
Minette (aigrement) : Elles vont mieux que moi, mais elles on s'en occupe.
Anabela : Mais elles, elles donnent du lait, ma chérie.
Charles-
La statue : Moi je ne bois pas.
Charles-
Anabela : Je vais jeter un coup d'oeil.
Charles-
Anabela (rentrant) : Des autochtones s'approchent ! Charles-
Charles-
Minette : J'ai bien une baïonnette outre mon fusil... que je garde pour moi... C'est une baïonnette de collection, ça m'ennuie de la prêter... même pour une réception.
Anabela : Alors ?... Remuez-
Charles-
La statue (hypocrite) : Cette manière de croire que l'on est sur terre pour régler leurs problèmes !
Minette : Eh là, c'est le vôtre aussi !
Anabela : Et puis le capitaine est responsable de tout ce qui pourrait nous arriver !
Charles-
La statue (ironique) : Oh ?
Charles-
Anabela : Je m'attendais à la conclusion.
Charles-
Anabela : J'aime encore mieux aller aux nouvelles que d'entendre ça. (Elle sort.)
Minette : Je ne veux pas être assassinée à cause du sens de l'Histoire...
Voix d'Anabela : Au secours. Ils veulent m'enlever !
La statue : Cela devient intéressant pour le photographe mais il aurait fallu me prévenir. (Il sort en courant.)
Charles-
Anabela : A l'aide !
Minette (prenant son fusil et sortant) : Voilà !
Voix de Minette : Attention je vais tirer ! Reculez ! Laissez-
Voix de La statue : De profil maintenant s'il vous plaît. Mais... Vous n'allez pas attaquer la presse ? On n'a pas le droit d'attaquer la presse ! Vous aurez de mauvais articles !... Ah !... Au secours !
(On entend un coup de feu.)
Anabela, La statue, Minette : Au secours, Charles-
(Nouveau coup de feu.
Puis le silence.)
Charles-
4
Côté droit la cellule de Minette et Anabela, puis le mur avec une fenêtre aux gros barreaux, et de l'autre côté la place devant la prison.
Minette semble dormir, Anabela marche de long en large.
Dehors un marchand de fruits, un type sur un banc qui lit son journal, un jeune
homme qui regarde les fruits avec suspicion -
Anabela : Sales sauvages ! Dommage que tu n'aies eu le temps d'en liquider que deux !
Minette (d'une voix faible) : Je suis un assassin...
Anabela : Mais non. Des sauvages ça ne compte pas.
Minette : Ça n'a pas l'air d'être leur avis.
Le marchand : Fruits frais. Sans colorants. Sans sucre ajouté.
Anabela : Et qu'est-
(Le jeune homme regarde sa montre et commence de faire les cent pas parallèlement à Anabela.)
Le marchand : Achetez les alicaments. Garantis cent pour cent comestibles.
Anabela : Et tu crois que Charles-
Le marchand : Bon, alors ? Personne ne veut acheter ?
Charles-
Le marchand : Non, pour quoi faire ? Il n'y a pas de touristes.
Charles-
Le marchand : Inutile d'y penser, vous n'avez pas de chance, elle est déjà pleine.
Anabela (à Minette) : Ecoute...
Charles-
Le marchand : ...
Charles-
Le type : ...
Charles-
Le jeune homme (agrippant brusquement le col de la veste de Charles-
Anabela (qui écoute) : Qu'est-
Le jeune homme : D'habitude je n'ai que des affaires d'héritage. J'arrive après la
mort. Mais on m'a commis d'office. J'espère qu'elles me demanderont de régler leurs
héritages... Est-
Charles-
Le jeune homme : La mort.
Charles-
Le marchand : Elles ont tué mon beau-
Charles-
Le type au journal : Il la ferme. Elles ont tué mon cousin. S'il parle, je lui fais la peau.
Charles-
Le jeune homme : Aller les voir ? Des tueuses ! Pour être tué ?
Charles-
Le jeune homme, le type, le marchand (en écho) : Désespéré.
Anabela (paniquée) : Désespéré ?
Minette (en larmes) : Désespéré...
Anabela (hurlant) : Charles-
Minette (hurlant) : Sors-
(Tous les entendent.)
Le jeune homme, le type, le marchand (regardant Charles-
Charles-
Le marchand (inquiet) : Un message codé ?
Anabela (ahurie) : Qu'est-
Minette : C'est quand même une consolation.
Charles-
Le jeune homme : Pas moi.
(Anabela et Minette écoutent, attendant d'autres paroles, en vain.)
Charles-
Le type au journal : Pfff. La reconnaissance, je n'y crois pas. Mon cousin a acheté sa maison grâce à moi et il a été tué sans me rembourser.
Le marchand : Mon beau-
Le jeune homme : Mais dans l'autre monde !
Le marchand (menaçant) : Tu ne peux pas t'empêcher de défendre, toi !
Le type : Il cherche à s'attirer des histoires.
(Entre La statue.)
La statue (furieuse) : Dans une cave, moi ! Comment est-
Charles-
La statue (le découvrant) : Vous êtes vivant ! Quelle surprise ! (Il fait une photo.)
Charles-
La statue : Je ne sais pas.
Charles-
Anabela et Minette (criant) : Sortez-
Le marchand, le type, le jeune homme (tons divers) : Dé-
La statue (frappant le mur à plusieurs reprises, dans lequel une brèche s'ouvre) : Ce n'est qu'un mur.
Anabela (sortant) : Fuyons d'ici.
Minette (sortant, un débris à la main) : Le premier qui bouge, gare, je ne suis plus à un près.
Charles-
La statue : Vivement chez soi.
Le marchand (criant) : Achetez au moins quelques fruits ! Pour la route. Sans colorants. Sans alcool.
5
Retour à l'intérieur de la péniche.
Trois Chouettes attendent silencieusement. Posés près d'elles, une baïonnette de collection, un crochet en fer et un couteau.
Elles ont bâillonné les vaches.
Entre Minette, suivie d'Anabela, Charles-
Première Chouette : Les voilà. (Elles prennent les armes.)
Deuxième Chouette : Enfin.
Troisième Chouette : Haut-
Minette (découragée) : Allons bon.
Anabela : Ah ! Encore elles ! Mais où faut-
Charles-
La statue (prenant une photo) : Souriez. (Les Chouettes sourient, l'effet n'est pas heureux.)
Charles-
Première Chouette : On est venues exécuter les sentences.
Deuxième Chouette (à Anabela) : On va te rallonger ta jupe, toi !
Troisième Chouette (à Charles-
Première Chouette (à Minette) : La tueuse sera passée par la baïonnette.
Les Chouettes (hululant doucement) : Ouououh. Justice sera faite !
Charles-
Le marchand (entrant sans façon, son étal portatif devant lui tenu par une bretelle à son cou) : Et les pommes ? Les fruits ! Je vous ai apporté votre commande à domicile.
Le jeune homme (entrant sans façon, à Minette et Anabela) : Retournez en prison,
je vous en prie. Croyez-
Le marchand (bousculant les Chouettes dépassées) : Je ne bougerai pas d'ici avant d'être payé !
Le jeune homme (essayant en vain de prendre les armes des Chouettes ahuries) : Nulle ne doit se substituer au châtiment de chez nous. (Aimablement à Minette :) Guillotine ? Injection létale ? Chaise électrique ?
Le marchand : Avant, mangez des pommes. Sans colorants. Excellentes pour la santé.
(La statue a libéré les vaches qui lèvent la patte avant droite pour manifester que tout va bien.)
Charles-
Minette (sortant pour s'exécuter) : C'est Mon bateau ! Pourquoi est-
Les Chouettes (ahuries, doucement) : Ouououh.
Première Chouette : Charles-
Deuxième Chouette (la coupant brutalement) : Et tout ça pour quoi ? Pour suivre une jupe trop courte !
Troisième Chouette (haineuse) : Charles-
Le marchand (regardant ses fruits) : Pourtant ils sont sûrement bons. Pourquoi est-
Anabela : D'abord c'est la jupe trop courte qui le suit.
Minette (rentrant) : C'est fait, c'ptaine. J'ai mis le pilote automatique.
Anabela ; Ensuite j'espère bien que ça s'inversera.
Charles-
Le jeune homme (à voix basse, à Minette) : Venez à côté de moi, je suis votre avocat.
Anabela : Et vous les sales Chouettes, vous continuez, je vous fais mettre par La statue à fond de cale ! Compris !
Le jeune homme (à Minette) : Elle devrait vous prêter une jupe, ça vous irait bien.
Minette (indignée) : Dites donc !
Anabela : Compris ?
La statue (perplexe) : Mais on est à fond de cale.
Première Chouette (maussade) : On va loger où en attendant l'arrivée de Mémère ?
Deuxième Chouette : Je refuse de coucher sur le pont.
Troisième Chouette : J'pourrai tenir la barre ?
Anabela : Charles-
Charles-
6
Un tribunal dans l'esprit des "Prisons" de Piranèse. A Orléans. Cujas, barbe et chevelure longues, grises; yeux de feu. Assis sur le trône de la loi.
Devant lui, debout, Mémère aux bigoudis et ses deux enfants.
Cujas : Un juge n'est pas une assistante sociale, Madame. Le père de vos enfants est en fuite, soit. Et alors ? Moi, Cujas, juge suprême de la côte, je n'ai pas de transport express pour vous aider à le rattraper. Suivant !
Mémère aux bigoudis : Juge, tu dois assistance aux pauvres femmes sans défense. Sauve-
Gandin et Greluche : Sauve-
Cujas (énervé) : Et de quoi, bon sang ? De quoi ?
Mémère aux bigoudis (s'agenouillant) : De la solitude, de la marginalisation, de la misère.
Gandin et Greluche (s'agenouillant aussi, en écho) : De la misère.
Mémère (à genoux) : Rends-
Gandin (à genoux) : La rue, c'est dur à seize ans.
Greluche (à genoux) : Il fait si froid dehors.
Mémère, Gandin, Greluche (en larmes et ensemble) : Sauve-
Cujas (écoeuré) : Vous êtes bien venus jusqu'ici, vous pouvez bien le poursuivre plus loin.
Mémère (à genoux) : On a ramés.
Gandin (à genoux) : Dans une petite barque.
Greluche (à genoux) : J'ai tout mal aux bras. Regardez.
Mémère : Mais on n'en peut plus.
Gandin : On est fatigués.
Greluche : J'ai des bleus partout, vous pouvez voir.
Cujas : Mais qu'est-
Mémère (se relevant, imitée aussitôt par ses enfants) : L'intercepter dès qu'il arrivera.
Greluche : Leur escale à Etampes a été un désastre, ils sont repartis, ils vont arriver ici, à Orléans, bientôt.
Cujas : Vous êtes arrivés avant eux ? Vous ramez vite.
Gandin : Il est parti avec une pute à son âge, alors que c'est à moi maintenant d'en profiter.
Cujas (se levant, en colère) : Ah ! Dieu ! Pourquoi me fais-
Mémère : Mais ...
Cujas (furieux) : Paix ! Un juge ne peut prouver ses mérites qu'à condition de rencontrer l'Affaire ! L'Affaire à journalistes ! A moi alors de la faire traîner des années, de rédiger des montagnes de dossiers illisibles, à moi la célébrité, la rencontre des vedettes, les plateaux de télévision ! Mais sans un grand criminel... (Déprimé; tombant sur son siège :) je ne suis rien.
Gandin (dans un souffle) : Mais ils ont tué deux personnes à Etampes.
Cujas (reprenant vie) : Vraiment ?... Enfin ça ne compte pas trop. A Etampes ce sont des sauvages... Ils ne m'envoient jamais de belles affaires à traiter.
Greluche : Ils se les étaient réservées, ils voulaient les exécuter sans ton jugement.
Cujas (revigoré) : Ohoh, un retour à une société pré-
Mémère, Gandin, Greluche : Bravo !
Le jeune homme (entrant en coup de vent) : Le juge est là ? Ah. J'ai besoin de votre aide.
Cujas : Je ne suis pas assistante sociale...
Le jeune homme : J'ai pu m'échapper un moment. (A Mémère :) Excusez-
Cujas : Nom. Prénom. Date de naissance.
Le jeune homme : Je suis l'avocat des tueurs d'Etampes.
(Un silence.)
Cujas : Rêvé-
Le jeune homme (dont Mémère, Gandin et Greluche se sont rapprochés pour l'examiner
de tout près comme une curiosité) : Donnez-
Cujas : Où on a commis un délit contre moi ?
Le jeune homme : Quel délit ?
Cujas : Je dois le juger !
Le jeune homme : Ah ? Je suis commis d'office, voyez-
Minette (entrant) : Comment ce dadais peut-
Le jeune homme : Voici ma cliente.
Cujas (qui s'est levé pour l'examiner) : Elle fera bien sur les photographies.
Minette : Dites donc, vieux taré !
Cujas (joyeux) : Insulte à magistrat !
Minette : Tu me touches, je te fous une baffe.
Cujas (joyeux) : Insulte à magistrat encore ! Cette fille est un rêve. Je vous arrête !
Minette : Ah oui ? Et comment ? (Elle va vers la sortie.)
Le jeune homme (à Minette, à voix basse) : Voyons, Minette, on ne parle pas comme ça à un juge. Je l'ai lu dans... quelque part.
Mémère (à Cujas) : Appelle tes gardes, vite, elle va filer.
Cujas (distribuant des étoiles de shériff à Mémère, Gandin, Greluche) : Je vous engage
comme auxiliaires shériffs de la loi. Arrêtez-
(Mémère, Gandin et Greluche se précipitent sur Minette à qui Le jeune homme barrait le chemin. Ils l'arrêtent, se saisissent d'elle, la ramènent les mains derrière le dos, bâillonnée.)
Mémère : La voilà. Maintenant livre-
Cujas : Il faut que je les juge, tous, d'abord.
Gandin : Ce sera vite fait ?
Cujas (levant un sourcil irrité) : La justice doit se rendre dans la sérénité.
Greluche : Et alors ?
Cujas : La sérénité exige le recul. La distance avec les faits. Il faut du temps. Et des journalistes.
Mémère : Mais combien de temps à peu près ?
Cujas : Je ne sais pas, moi. Cinq, dix, quinze , vingt ans. Le temps nécessaire. L'affaire est grave, je dois aussi juger Etampes. Et la criminelle est superbe, ce qui aggrave son cas. Les complices seront bientôt pris, on verra ce qu'ils valent... Enfin je ne vais pas bâcler l'affaire de ma vie !
Le jeune homme (tendrement, à Minette furieuse) : J'ai hâte de vous défendre.
7
Le quai à Orléans, la péniche, puis dans le fond les autres bateaux, une pagaille de petits et de gros.
Greluche et Gandin, armes à l'épaule, font les cent pas.
Greluche (de mauvaise humeur) : C'est très fatigant d'être auxiliaire shériff.
Gandin (de mauvaise humeur) : Pire que de ramer. J'envisage la désertion.
Greluche : On ne peut pas, Cujas a gardé maman.
(La tête d'Anabela apparaît.)
Anabela (à quelqu'un qui est à l'intérieur de la péniche) : Ils sont toujours là.
Greluche (agressive) : Evidemment qu'on est toujours là. Par votre faute ! On devrait être à l'école à cette heure !
(Anabela sort.)
Anabela : Qu'est-
Greluche : Hein ?
Gandin (à part) : Quelle belle femme. Juste celle qu'il me faudrait pour un début.
Anabela : Tu travailles bien au lycée ?
Greluche (abasourdie) : J'sais pas. Y a la pédagogie moderne, main'nant.
Gandin (s'avançant) : Moi j'ai de grandes difficultés à cause du contexte parental difficile. J'ai droit aux études surveillées tous les soirs, ce qui me fatigue beaucoup et aggrave mes difficultés.
Anabela : Pauvres enfants.
Voix de Charles-
Anabela : Ah. Vous avez des notes lamentables, quoi.
Greluche (s'étranglant) : Des notes lamen... avec toutes les difficultés qu'on a ! Il ne manqu'rait plus qu'ça !
Gandin : Vous seriez du mauvais genre à décourager les élèves, vous. N'était votre physique.
(Entre Cujas, suivi de Minette tenue en laisse par Mémère, du jeune homme et des
trois Chouettes, toutes auxiliaires-
Cujas : Voici donc le bateau du crime. Ah, je sens les émanations du Mal. Les ondes du cauchemar en jaillissent continûment et pénètrent les âmes de ceux qui s'en approchent. Satan est face au juge. Tu ne m'échapperas pas ! Cujas te jugera ! (A la Troisième Chouette qui écrivait :) Tout le discours est noté ?
Troisième Chouette : Vous allez trop vite, maître, je n'ai pas l'habitude d'écrire, vous savez.
Cujas (jetant un coup d'oeil) : Pas de d au bout du mot "cauchemar". Ça ira. (A Mémère :) Débâillonnez la criminelle.
Minette (débâillonnée) : Salaud.
Cujas (ravi) : Elle m'insulte. C'est un vrai monstre.
Minette : Détache-
Cujas (ravi) : Ooooh. Cette affaire est historique ! Mais où sont les journalistes ?
La statue (sortant la tête de la péniche) : Je suis là. Mandaté par l'agence Europe-
Cujas (posant) : Bien sûr. (Photo.) Et des films, vous filmez ?
La statue (évasive, pas au courant) : Sûrement. C'est un bon appareil.
Cujas (d'une voix forte) : Nous sommes ici pour la reconstitution des crimes d'Etampes.
Là-
Minette : Hein ?
Cujas : A la suite d'une nuit d'ivrognerie consacrée à une messe noire et à la luxure,
la possédée a froidement assassiné... de simples sauvages certes... des Etampouahs
ce n'est pas une perte, ils ne m'envoient rien à juger... Mais il faut penser aux
familles, à ceux qui restent, qui vaudront peut-
(Les deux Chouettes armées ont grimpé sur le bateau, elles sont descendues dans
son ventre. Charles-
Charles-
Le marchand : Et moi plus.
Cujas (à la Troisième Chouette) : Notez.
Le marchand : Aucun colorant dans mes fruits. Aucun conservateur. Ils se conservent longtemps uniquement grâce à des modifications génétiques. Ces gens ne veulent pas payer leur commande, c'est pour ça que je suis là.
Cujas : Très bien, un non-
(Mémère le fait peureusement. Minette délivrée pousse de grands cris mi-
Cujas (pour la postérité) : L'animal féroce est toujours aussi dangereux pour l'homme. Il montre par son attitude son refus de la civilisation.
(Brusquement Minette se jette sur Le jeune homme qu'elle tente d'étrangler.)
Le jeune homme : Voyons, Minette, vous aggravez votre cas.
Minette (acharnée) : Ta gueule, salaud !
Le jeune homme : Mais... je suis... votre avocat.
Minette : Faut me payer pour être mon avocat. Nullard !
Cujas (ravi) : Moi non plus je n'aime pas les avocats.
Charles-
Anabela : Moi non plus.
Mémère : Ce n'est vraiment pas une femme convenable.
Le marchand (descendu du bateau ainsi que La statue qui photographie) : Moi je n'en voudrais pas.
Première Chouette : Elle ne sait pas se tenir.
Deuxième Chouette (hululant) : Ouououh.
Minette (donnant de petits baisers au jeune homme) : Salaud, salaud, salaud.
Cujas (à Mémère) : Passons à la reconstitution.
(Brusquement Minette se relève, s'empare de l'arme de Greluche, tire sur la Deuxième Chouette (armée) qui tombe, tire dans le genou de la Première Chouette, qui laisse tomber son arme, grimpe sur la péniche.)
Minette (à Charles-
(On entend le moteur démarrer. Elle tient ceux de la rive en joue.)
Cujas (ravi) : Une évasion. Elle aggrave son cas ! Bravo. (A La statue :) C'est filmé ? (A la Troisième Chouette :) C'est écrit ?
8
Un coin de campagne désert; la nuit tombe. Quelques arbres sans feuilles. Au fond à droite le gibet de Blois.
Cujas en tête, suivi de mémère, de la Chouette-
Cujas : Ah, le gibet, j'étais sûr qu'on n'était plus très loin. Courage, mes amis !
Mémère (crevée) : Y a plus de courage.
Le marchand (toujours avec son étal portatif pendu à son cou) : Ça veut dire quoi "plus très loin" ?
Mémère : Que je regrette de m'être mariée. Courser un mari qui a la santé, c'est trop fatigant. Je n'en peux plus.
Cujas (à la Chouette-
La Chouette-
Cujas : Tu as raison; écris. Ce type est un vrai bourreau.
La statue (arrivant, se lamentant) : Où ils sont ? Pourquoi on ne les attend pas
où on était ? Je ne comprends pas. Pourquoi est-
Mémère (hargneuse) : Personne ne t'a demandé de nous suivre. On n'a pas besoin de toi.
Le marchand : Tu n'as pas de facture à te faire payer, alors ? Prends du bon temps !
La statue : Je ne peux pas rester tout seul. Pourquoi est-
Cujas : N'embêtez pas la presse. (A La statue :) Tu as filmé les efforts de la Justice pour rattraper les coupables ?
La statue (mentant) : Ouioui. (Plaintif :) Il faudrait m'expliquer : je n'ai que sept mois ! Même pas tout à fait.
Cujas : Expliquer ? Expliquer le crime ? (Posant :) Expliquer l'horreur ? Le mal
était tapi en eux, peut-
La statue (horrifiée) : Est-
Cujas : La Justice est présente partout; elle peut tout; inlassable elle poursuit le crime, il tremble devant elle, il tremble devant moi; le criminel, le mal qui habite le criminel, sait qu'il ne m'échappera pas. Je l'atteindrai. Je l'extirperai. Je le vaincrai ! Etre juge, mon ami, c'est un sacerdoce. J'ai fait don de ma personne à la loi pour être le plus fort.
La statue (admirative) : Vivement que ce soit fait. Je ne saisissais pas bien. Je n'ai que sept...
Gandin (arrivant, se laissant tomber) : Oh !
Cujas (à Chouette-
Chouette-
Cujas (énervé) : Donne ! (Il prend le stylo, le cahier, et écrit rapidement.)
Greluche (arrivant, se laissant tomber) : Ah ! Maman, je n'en peux plus.
Mémère : Oui, ma chérie, on va camper ici.
Cujas (levant un oeil) : Pas question.
Le marchand : En ce qui me concerne, mes fruits sont longue conservation, je ne suis pas si pressé.
Mémère : La jupe d'Anabela peut bien encore raccourcir, je suis trop fatiguée pour la lui rallonger maintenant. Je veux me reposer.
Cujas (levant un oeil tout en écrivant) : Pas question !
Gandin (montrant le gibet) : Qu'est-
Cujas (qui a fini d'écrire) : Le gibet de Blois... Il ne sert plus.
Gandin : Ah ? Pourquoi ?
Cujas : Il n'y avait plus de public, les gens ne s'intéressent qu'au foot.
Chouette-
Cujas : Oh oui.
La statue : Comme moi, alors ?
La Chouette blessée (arrivant) : Oh. Oh. Je souffre trop. Achevez-
Cujas : Interdit.
La statue (naïvement) : On ne pourrait pas utiliser le gibet ?
La Chouette-
Cujas : Vous voyez, si vous restez ici, elle vous empêchera de dormir. Et puis vous prendrez froid.
La statue : Moi je suis en bronze.
(Arrive par la droite un paysan ivre avec sa bouteille.)
Le paysan ivre : Tiens... oh... des pendus.
Cujas : Quoi ?
Le paysan ivre : C'est qui... qui vous a décrochés ?
Cujas : Je suis le juge, brave homme.
Le paysan ivre : Ah ? Je retourne en taule ?
Cujas : Tu nous montres le chemin.
Le paysan ivre (triste) : Bon, eh ben c'est par là.
(Il repart vers la droite, suivi de Cujas. La statue se précipite. Chouette-
9
Blois. La montée vers le château, une rue qui se divise avant le fond entre un escalier et une voie ordinaire.
Charles-
Charles-
Minette : Tu crois vraiment que le Roi va nous recevoir ?
Anabela : Encore une de tes idées fumeuses.
Charles-
(Aussitôt sortent des maisons les Chouettes et les Hiboux, mâles et femelles de toutes les espèces, qu'ils regardent en silence.)
Anabela : Elles sont aussi là.
Charles-
Minette : Ils ne font peut-
Charles-
Anabela : Avec leurs regards fixes on ne sait pas ce qu'ils pensent.
Minette : Peut-
Charles-
Anabela : Ça ne sert à rien. Elle refuse de s'allonger.
(Ils avancent lentement vers la montée.
Un temps.
Les Chouettes et les Hiboux ferment l'issue derrière eux et les suivent lentement.)
Minette : Je crois tout de même qu'ils nous ont vus.
Anabela : Pourquoi est-
Charles-
Anabela : Ah, tu m'agaces. (Elle le fait quand même.)
(Un temps.)
Minette : Si on courait ?
Charles-
Anabela : Cela ne me paraît pas une bonne idée, Charles-
Charles-
Minette : Vas-
Charles-
(Grand silence.
Tout à coup :)
Chouettes et Hiboux : Wouou-
Minette : Courons !
(Ils se mettent à courir poursuivis par quelques Chouettes et Hiboux; arrivés à
la bifurcation, Minette et Charles-
Les autres Chouettes et Hiboux, restés immobiles, crient encore.
Quand poursuivis et poursuivants disparaissent, le silence tombe brusquement.)
La statue (arrivant par le bas à gauche) : Je suis tout seul, je suis perdu. Où sont
mes amis ? Pourquoi ils m'ont laissé ? Je veux retrouver le ventre de la péniche.
(Aux Chouettes et Hiboux :) Vous n'avez pas vu passer une péniche conduite par une
jupe courte ? Les vaches me manquent elles aussi. J'essayais d'établir le dialogue
avec elles. Je leur parlais, elles m'écoutaient attentivement. Je crois qu'elles
m'aimaient bien. Mais ils m'ont abandonné. Je ne sais pas quoi faire. Pas quoi faire...
(Grand silence. Chouettes et Hiboux se sont regroupés autour de La statue.) Je me
nomme Goeffroy, Geoffroy de Saint-
(Soudain on entend des coups de feu, puis chanter; et redescendent d'un pas martial,
en cadence, par la voie plane Anabela, Minette -
Anabela, Minette, Charles-
Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine,
De ce conflit nous sortirons vainqueurs.
Tala-
Vous serez les perdants de cette guè-
Nous foulerons vos drapeaux et percerons vos coeurs.
(Imitant les trompettes :) Tatatatata !
(Chantant :) Vous n'aurez pas...
La statue : Mes amis ! Ce sont mes amis !
Anabela, Minette, Charles-
De ce conflit...
La statue : Je peux venir ? Je peux venir ?
Anabela, Minette, Charles-
Tala-
La statue (des larmes dans la voix) : S'il vous plaît ?...
Anabela, Minette, Charles-
La statue (désespérée) : Ils ne veulent pas de moi ! Ils ne veulent plus de moi !
Anabela, Minette, Charles-
Nous foulerons vos drapeaux...
La statue (désespérée) : Je vais rester tout seul ! Ils ne veulent plus de moi !
Anabela, Minette, Charles-
(Imitant les trompettes :) Tatatatata.
La statue : Je voudrais mourir, je ne veux pas rester seul.
Anabela, Minette, Charles-
Charles-
Anabela, Minette, Charles-
La statue (joyeuse) : Ah ! (Emboîtant le pas, chantant aussi gaiement :)
Les quatre : De ce conflit nous sortirons vainqueurs.
Tala-
Vous...
(Ils disparaissent en chantant.
Silence.)
Chouettes et Hiboux (chuintant, huant doucement) : Ouououh.
(Entre Cujas avec Chouette-
Cujas : Enfin Blois !
Chouette-
Cujas : Où sont-
Chouette-
10
Même décor.
La Chouette blessée est sur un brancard, entourée des Chouettes et des Hiboux.
A l'écart, assis, l'arme à l'épaule, Mémère, Gandin, Greluche.
Un peu plus loin, seul, le marchand avec son petit étal portatif.
Chouette-
Un Hibou : Trois morts ici. Trois familles détruites.
Chouette-
Une Chouette : Mais pourquoi les deux autres la suivent-
Chouette-
Une Chouette : C'est quand même triste pour eux.
Le Hibou : Et pour nous alors ? Trois morts ! Trois innocents assassinés pour absolument rien !
Chouettes et Hiboux (chuintant, huant) : Ouououh.
Chouette-
Chouettes et Hiboux (chuintant, huant) : Ouououh.
Mémère aux bigoudis (intervenant) : Si je ne peux pas récupérer mon mari, je veux
le descendre moi-
Le marchand : Fruits frais ! Fruits bien frais ! Aucune tache dessus; vous pouvez regarder. Pommes de nos jardins. Poires d'autres jardins, ainsi que fraises saignantes, cerises noires, de Calabre, je crois, et oranges du Minnesota, je crois. La Géographie par les fruits : excellent pour les petits enfants comme pour les grands.
Gandin (à Mémère) : Maman ? Tu vas vraiment tuer papa ?
Chouette-
Un Hibou : J'allais vous en proposer un.
Une Chouette (au Hibou) : Oh, voyons. (A voix presque basse :) C'est comme offrir des fleurs.
Le Hibou : Ah oui ?
Gandin : Maman ? Réponds-
Greluche : Elle ne va pas répondre à une question aussi idiote. Bien sûr que non.
Le marchand : Garantis sans colorants. Et en solde. Des prix très intéressants. 20
% en-
Chouette-
Cujas (rentrant par la droite, suivi de Chouette-
Chouette-
Cujas : Mais c'est trop long, on ne les rattraperait pas ! On arrivera encore après leur départ !
Chouette-
Chouette-
Chouette-
Chouette-
11
Tours. Place de la cathédrale.
Entrent Charles-
La statue (en dernière position, geignard) : Je ne peux pas rester toujours habillé comme ça. Je ne suis pas à la mode d'aujourd'hui.
Charles-
La statue : Je veux être joli.
Charles-
La statue (maugréant) : La peste soit de l'avarice et des avaricieux.
Charles-
La statue : Je disais : pitié pour un pauvre nécessiteux.
Minette (qui avec Anabela regarde un guide touristique puis la cathédrale) : Rien de pareil à Amboise. Non. On a dû se tromper.
Anabela : Pourtant j'avais bien donné le cap.
Charles-
La statue (geignarde) : Avec ça que c'est facile, marcher au fond de la mer avec un câble pour faire avancer le bateau. Il n'y a pas d'indicateur au fond. La direction n'est pas indiquée. Si vous aviez pris de l'essence pour le moteur...
Charles-
La statue : Et comment on est remercié ? Même pas de quoi s'acheter des vêtements secs.
Minette (qui feuillette son guide) : Tu ne peux pas te mouiller.
Charles-
Anabela : Ah, parce que c'est moi qui dois payer ? Et pourquoi ?
Minette : Parce que tu es la seule à en avoir encore. Allez. Rends-
Anabela (fouillant dans son sac, avec mauvaise grâce, à La statue) : Combien est-
La statue : Combien vaut ta jupe ?
Anabela : Rêve pas. Tiens, voilà cent euros. Je ne peux pas donner plus.
La statue (qui n'a aucune idée de la valeur de l'argent, joyeuse) : Ah. Je crois que je vais épater la bonne ville de Tours.
Minette (estomaquée) : Tours ! (Elle feuillette fébrilement tandis que La statue s'éloigne.)
Anabela : La capitale des fringues à bon marché.
Charles-
Minette : Tours, j'y suis. Je veux dire, dans le livre. Et en vrai aussi. Ah oui. Pas de doute. On y est.
Charles-
Minette : Mais je devais voir le Roi.
Anabela : Eh bien tu verras les Grands magasins...
Charles-
(Sortent de la cathédrale, en deux rangées, les pénitents blancs.)
Première rangée des pénitents : Dominus.
Seconde rangée : Agnus dei.
Première rangée : Dominus.
Seconde rangée : Credo.
Première rangée : Dominus.
Seconde rangée : Et spiritus dei.
(Ils ont encerclé Charles-
Le Pénitent porte-
Anabela : Rien, je ne vous connais pas.
Le Pénitent : Que demandez-
Minette : Rien. Le premier qui m'approche, je le descends.
Le Pénitent : Que demandez-
Charles-
Le Pénitent : Et tu le mérites ?
Charles-
Le Pénitent (à Anabela) : Et toi ?
Anabela : Je l'accompagne, c'est tout.
Le Pénitent : Tu ne fuis pas ?
Anabela : Je ne peux pas fuir parce que je ne crois à rien.
Le Pénitent (à Minette) : Et toi ?
Minette : Rien. Ton Dieu est mort et moi j'ai le revolver.
Le Pénitent : Si Dieu est mort, alors la machine qu'il a construite est folle, il n'y a plus ni conducteur ni mécanicien à bord; elle va droit devant, comme vous; et c'est tout; sa vitesse grandit de jour en jour... Mais vous vous êtes arrêtés ici.
Charles-
(Une volée de Chouettes et de Hiboux s'abat sur la place avec des cris violents.)
Une Chouette : Les voilà, j'étais sûre qu'ils avaient évité la justice d'Amboise.
Une autre Chouette : Le marchand n'est pas avec eux.
Un Hibou : Saisissez-
(Ils vont pour s'en emparer mais Minette sort son revolver. Chouettes et Hiboux hululent de rage sans oser s'approcher.)
Les Pénitents (sur fond sonore de ces cris) :
Que le Seigneur accorde l'Esprit.
Seigneur, aie pitié de nous.
Que le Seigneur nous donne la force.
Seigneur, aie pitié de nous.
Une Chouette : Assassins !
Un Hibou (aux Pénitents) : Ils ont semé la mort partout sur leur passage !
Tous les Chouettes et les Hiboux : Livrez-
Les Pénitents (sur fond sonore de leurs hululements de rage) :
Dieu voit les coeurs.
Que Dieu nous juge.
Seigneur, toi seul vois les coeurs.
Seigneur, aie pitié de nous.
Une Chouette (hurlant) : Pourquoi est-
Le Pénitent porte-
12
Une rue marchande de Tours, au loin on aperçoit la cathédrale.
Charles-
Charles-
Anabela : Ils ne nous suivent plus, ouf. Qu'ils nous escortent sans cesse, partout, je ne supportais pas.
Minette : Dès que l'un d'eux a vu les prix ici, hop, plus personne. (Elle rit.)
Anabela : On va pouvoir se balader tranquilles.
(On commence d'entendre les douze coups de midi.)
Charles-
(Entre La statue, habillée de couleurs vives, vert cru, rouge vif, jaune -
La statue : Ah mes amis, que je suis heureux !
Charles-
La statue : Et que je suis joli. Regardez. (Il virevolte.) Joli. Joli. J'aurais voulu
naître comme ça. Mon papa, M. de Saint-
Charles-
Anabela : Rends-
La statue : Plus d'argent, plus d'pognon. J'avais même pas assez, mais j'ai dit que j'étais avec la tueuse...
Minette : Quoi !
La statue : Oui, tout le monde te connaît. J'ai dit que tu passerais faire quelques photos dans le magasin et on m'a relâché.
Minette : Des photos ! Pas question !
La statue : Mais, Minette, je me suis engagé. J'avais pas assez d'argent. ( A Charles-
Charles-
Anabela (pince-
La statue : Oui. J'ai eu envie de tellement de choses ! (Fier.) Mais j'ai réussi à faire un choix.
Minette : Pas de photos !
Anabela : Bof, j'irai moi. (A La statue dubitative :) Ah, parce que je ne suis pas assez bien pour eux ?
(Au douzième coup de midi soudain sortent des magasins Chouettes et Hiboux, tous fringués clinquant, du vert, du jaune, du rouge, du vif, du cru.
Ils s'admirent les uns les autres.)
Chouettes et Hiboux (s'admirant) : Joli. Joli !
La statue (admirant les autres) : Joli.
Chouettes (aux Hiboux) : Jolis !
Hiboux (aux Chouettes) : Jolies !
Tous (joyeusement) : Joli, joli, joli !
Une Chouette (stoppant net devant la jupe d'Anabela; ébahie) : Oh.
Tous les autres Chouettes et Hiboux (regardant où elle regarde, ébahis) : Oh.
Tous les Chouettes et Hiboux (lentement d'abord et bas, puis crescendo et plus
vite; presque chanté) : Combien ça vaut ? Combien ça coûte ? Combien ça a coûté ...
? (Bien étirer, traîner le é final -
Anabela : Rêvez pas les Chouettes, ce n'est pas dans vos moyens !
Chouettes (hululant) : Ouououh.
Hiboux : Oh.
(Chouettes et Hiboux commencent de se rapprocher.)
Chouettes et Hiboux : Combien ça vaut ? Combien ça coûte ? Cardin ? Cartier ? Dior
? Combien ça a coûté ? Saint-
Anabela : D'ailleurs elle est trop courte pour vous.
Chouettes (hululant en cri strident) : Ouououh.
Hiboux : Ooooh.
Minette (à Charles-
La statue (regardant de près la jupe d'Anabela) : C'est vrai que c'est joli.
Chouettes et Hiboux : Joli !
Chouettes (cri aigu) : Joli !
Hiboux (cri grave) : Joli!
Chouettes et Hiboux (reprenant leur lente progression vers Anabela) : Qu'est-
Les Hiboux : Joli !
La statue : Ça oui.
Les Chouettes : Joli !
Minette : S'ils approchent de moi, j'en descends, je tire dans le tas.
Charles-
Anabela (aux Chouettes et Hiboux) : Rien que mon travail ! Rien que mon argent. Quoi ! Je dépense mon argent comme je veux.
Chouettes (chuintant d'envie) : Ouououh !
Hiboux : Ooooh.
Chouettes et Hiboux : C'est à elle.
Chouettes : C'est pas à nous.
Hiboux : Joli !
La statue : Ah oui.
Chouettes et Hiboux : C'est à elle. C'est à nous. Combien tu vaux ? Combien elle
coûte ? Cardin ? Dior ? Saint-
Anabela (levant les bras, avec un déhanchement mannequin, criant) : Chanel ! Sept cent cinquante euros !
Chouettes et Hiboux (se jetant sur elle, criant, chuintant, huant) : Oh. Ouououh. Oh. (Vacarme assourdissant.)
(L'action est très rapide. Chouettes et Hiboux se retirent tout aussi brusquement. Anabela apparaît en slip, la jupe a été arrachée. Les Chouettes et les Hiboux l'emportent en triomphe.)
Anabela : Oh !
La statue (mettant son vaste béret jaune devant le slip d'Anabela) : Ne regardez pas ! Ne regardez pas !
Anabela : Au voleur !
13
Amboise. La place au pied du château.
Cujas marche de long en large. Chouette-
Cujas : Tout va mal. Je quitte Orléans, je ne juge pas à Blois. Je vais voir le Roi,
il est à Amboise; je cours à Amboise, il est reparti à Blois. Et moi, je ne juge
toujours pas. La Justice subit l'enfer. Les forces démoniaques ont pris possession
du monde. (A Chouette-
Chouette-
Cujas : Tu as peut-
(Arrivent dans un brouhaha hululant des Chouettes et des Hiboux, dont un seul est habillé à la façon de Tours, avec Le jeune homme, Mémère et les enfants.)
Une Chouette : Maître, les coupables ont pu refaire le plein à Tours.
Le Hibou de Tours : Je vous remets solennellement la seule prise que nous ayons pu effectuer.
Cujas (l'examinant) : ... C'est une jupe...
Le Hibou de Tours : C'est "sa" jupe.
Mémère : Oui, je la reconnais. C'est elle, je le jure.
Chouette-
Cujas : Il serait quand même souhaitable pour le procès qu'il y ait la fille dedans. Ce serait plus conforme à la procédure.
Mémère : On peut toujours juger par contumace.
Cujas (bavant d'envie) : C'est vrai.
Le Hibou de Tours : Vous ne les rattraperez plus.
Le jeune homme : En tant qu'avocat de la défense, j'ajoute que j'ai hâte d'en finir. Je suis commis d'office et j'ai des héritages qui m'attendent.
Cujas (indécis) : ... Et le marchand ?
Une Chouette : Toujours pas trace. Mais il faut séparer les affaires.
Cujas : Il s'agit de la même équipe.
Le jeune homme : Mais il n'a pas d'avocat.
Cujas (réfléchissant) : ... Ma foi... Eh bien soit... On la juge !
(Des cris de joie accueillent sa décision. Chouettes et Hiboux arrangent la place pour le tribunal.)
Cujas (assis royalement) : Accusée, levez-
La Chouette-
Cujas : Reconnaissez-
Chouette-
Cujas : Premier témoin !
Mémère aux bigoudis (s'avançant, comme accablée de douleur) : Je la suis, Monsieur le Président. La première, hélas, c'est moi. J'étais à Paris dans notre deux pièces, paisible, travailleuse telle la fourmi et l'abeille en même temps, mon mari rentrait à l'heure, mes enfants allaient quotidiennement à l'école. Pour ce qu'ils y foutaient, ça... Nous étions une famille unie. Dans notre petit logis sous les toits...
Cujas (énervé) : Passons, passons.
Mémère (changeant de ton, polémique) : Il faut bien que je campe le décor, les circonstances...
Le public des Chouettes et des Hiboux : Passons, passons.
Mémère (vexée) : Soit. La pute elle m'a piqué mon mari au moyen de la criminelle que vous avez devant vous.
(La jupe fait l'étonnée -
Le jeune homme : C'est cohérent.
Cujas : Tous ces morts pour si peu de tissu.
Le Hibou de Tours : Oui, mais faut voir combien ça coûte.
Cujas : Silence !
Le Hibou de Tours : Mais...
Le public des Chouettes et des Hiboux : Passons, passons.
Mémère : Et mes enfants ! Les enfants abandonnés !
(Gandin et Greluche s'avancent en larmes.)
Gandin : A-
Greluche : Tout seuls !
Gandin : Plus d'argent de poche.
Le public (compatissant) : Oh.
Greluche : Pas de cadeaux à mon anniversaire.
Le public (compatissant) : Oh.
Mémère : Il nous a trahis !
Greluche et Gandin (pleurant) : Ayez pitié !
Cujas (au jeune homme) : L'avocat de la défense ?
Le jeune homme (en larmes) : C'est trop horrible. Je ne peux pas.
Le public : Passons, passons.
Cujas : Deuxième témoin !
Chouette-
Cujas : Ecourtons.
Chouette-
Cujas : C'est épouvantable. Que peut dire l'accusée ? (La jupe hausse les épaules
-
Chouette-
Cujas : Pas de troisième témoin. Avocat de la défense ? A vous.
Le jeune homme (se levant, timide) : A moi ? Je ne pourrai jamais...
Cujas : C'est la loi.
Le jeune homme : Bon... Oïe oïe oïe, quand ça m'est tombé dessus cette affaire, j'ai senti que les ennuis commençaient.
Le public : Passons, passons.
Le jeune homme : Et à cause de qui ? A cause d'elle ! (La jupe hausse les épaules
-
Le public : C'est nous !
Le jeune homme : Ah ?
Cujas : Oui, ce sont eux.
Le jeune homme : Bon... Reprenons l'historique des crimes.
Cujas : Passons.
Le public : Passons, passons.
Le jeune homme : Ah ?... Bon... L'accusée ici présente possédée par Satan s'est écourtée
pour prendre l'argent de poche et les cadeaux des enfants. Mémère n'a plus un bigoudi
à se mettre. Et je ne parle pas des morts... parce qu'ils n'ont pas pu venir témoigner.
Il y a peut-
Une Chouette : Mais non !
Chouettes et Hiboux (hululant) : Ouououh !
Cujas : La criminelle a droit à une défense !
Le jeune homme (criant) : Minette est une belle femme, au corps magnifique...
Cujas : Passons.
Le jeune homme : J'irai la retrouver dès que je serai débarrassé de cette affaire.
Les Chouettes et les Hiboux : Passons, passons.
Le jeune homme : Mais pour cette criminelle le mieux c'est d'éviter les récidives ! Voilà. J'ai fini.
(Ebahissement de la jupe -
Cujas : Plus la défense fait court plus elle a l'adhésion de la majorité du public... Jugeons. Quel est l'avis des jurés ?
Chouettes et Hiboux, Mémère, les enfants (cris, hululements de toutes sortes, vacarme) : Ouououh
Cujas (se levant) : Je déclare... la criminelle... coupable. (Vacarme enthousiaste.) Elle sera guillotinée !
(Vacarme assourdissant des Chouettes, des Hiboux, de Mémère et des enfants.
La jupe s'effondre d'un coup.)
14
Le pont de la péniche à quai dans le port de Saumur.
Anabela et Minette sont sur le pont, La statue fait les cent pas sur le quai; ils (elles) attendent.
Minette : Qu'est-
Anabela (nouvelle jupe courte mais bon marché; énervée) : Tu vas arrêter de poser cette question !
(Un temps.)
La statue : Qu'est-
(Regard excédé d'Anabela.
Un temps.)
Minette (qui semble angoissée) : Où est-
La statue : Les remords ça ne sert qu'à se complexer.
Anabela : Saumur n'est pas précisément une ville accueillante, il doit y en avoir où on ne nous prie pas de décamper dès notre arrivée.
Minette (en larmes) : Ma vie est une catastrophe.
Anabela : Pas mieux.
La statue (humoristiquement, pour montrer qu'il a appris) : Atout bronze.
(Le jeune homme arrive en courant.)
Le jeune homme (soulagé de les trouver enfin) : Ah.
Anabela (qui s'était redressée) : Ce n'est pas le bon.
Le jeune homme (allant vers Minette, s'arrêtant face à Anabela et lui serrant la main avec componction) : Elle n'a pas souffert.
Anabela (ahurie) : Hein ?
Le jeune homme : J'étais là dans son dernier moment. Elle a été courageuse jusqu'au bout.
Anabela : Quoi ?
Le jeune homme (débarrassé de la corvée, allant à Minette) : Minette, je suis André; André, c'est moi. Je suis de retour.
Minette : Est-
Le jeune homme : Un peu. Est-
Minette : Donne toujours. (Il lui donne son portefeuille.) De toute façon je suis toujours toute seule, alors pour une fois que j'en trouve un.
Le jeune homme : Comment est-
Minette (timide) : C'est parce qu'au début les hommes me faisaient peur si bien que je les flinguais systématiquement. Mais sans méchanceté... Ça s'est su. Ça m'a fait une mauvaise réputation. Les types se sont comportés en lâches.
Le jeune homme (la serrant contre lui) : Ma pauvre chérie.
Minette (à Anabela) : Deux cent trente euros, c'est tout ce qu'il a sur lui.
La statue (émue) : Dire que je ne connaîtrai jamais ça.
(Arrive le marchand à toute allure. Il saute sur la péniche, regarde derrière lui.)
Le marchand : Vite, démarrez. Démarrez !
Anabela : On ne peut pas. On attend Charles-
Le marchand : Oh, mais ils vont venir. Ils vont me rattraper ! Vous m'emmenez n'est-
Anabela : Et pourquoi ?
Minette : Qu'est-
Le marchand (effondré) : Oh, mon étal...
La statue (voulant le réconforter) : Il était très seyant.
Le jeune homme : Il a vendu les fruits, à Amboise.
Anabela et Minette (applaudissements) : Vendu les fruits !
Le marchand (effondré) : Oh, les fruits...
Le jeune homme : C'est là que le bât blesse. Vingt-
Minette (impressionnée) : Vingt-
Le jeune homme : Les Chouettes et les Hiboux ne sont pas contents. Forcément.
Minette (épatée) : Il a fait pire que moi.
Le marchand (se défendant) : Je ne savais pas ! Ils étaient si beaux, ces fruits.
Sans colorants. Sans sucre. Sans alcool. Je les croyais comestibles ! Moi je n'aime
pas les fruits, je n'en mange pas, j'en vends c'est tout. D'habitude ceux que j'avais
pourrissaient sur mon étal, ils attiraient les guêpes, parfois elles me piquaient
et personne ne voulait manger des guêpes. Quand j'ai découvert l'existence de ceux-
La statue : Je ne vois pas d'erreur de raisonnement. Ou est l'erreur ?
Anabela : Vingt-
La statue : Ah oui. Moi je ne mange pas de fruits non plus.
Minette : Vous avez de l'argent ?... Pour payer votre transport. Ce n'est pas gratuit.
Le marchand (rechignant) : Et la solidarité des criminels ?
Minette : Non, j'ai un amoureux maintenant.
Le marchand (donnant son portefeuille) : Voilà l'argent du crime.
Minette : Trois cents euros et trente centimes. Pffft. Enfin.
(Charles-
Charles-
Anabela (sans bouger) : Bonjour... chéri.
Charles-
Anabela : Où est-
Charles-
Anabela : Et tu crois qu'ils voudraient bien de nous ?
Charles-
Minette : Donne toujours les provisions. J'ai faim.
Le jeune homme (qui a faim) : La guillotine ça creuse.
Le marchand : J'ai un remords à entretenir.
La statue : Moi je vais faire comme manger.
(Ils entrent dans le ventre de la péniche, sauf Charles-
Anabela : Elle s'appelle comment ton île ?
Charles-
(Un temps.)
Anabela : Tu m'embrasses ? (Il lui donne un petit baiser sur les lèvres. Souriante :) En route pour Nantes.
15
Le quai de l'île de Nantes, avec la péniche et sur le quai une banderole : "Charles-
Charles-
Anabela : Mais non, voyons, je te préviendrai.
Charles-
La statue (entrant par la gauche avec un cabas) : Tout y est, cette fois. Ce n'est pas parce que je ne fatigue pas qu'il faut m'exploiter.
Anabela : T'exploiter ? Voilà un nouveau mot. Et où l'as-
La statue : Au club des statues unies.
Anabela : Ah. Ton club.
La statue : Oui, mon club. Je ne suis pas seul de mon espèce ici. J'ai des semblables moi aussi. On veut des droits.
Anabela : Puisque Charles-
La statue : Il faudrait déjà qu'il soit élu. Les conservateurs sont allés jusqu'à
prétendre que je n'avais pas d'âme. Pas d'âme ! Qu'est-
Anabela (distraite) : Oui. Aide-
La statue (obtempérant de mauvaise grâce) : On m'exploite.
Anabela (ironique) : Ouioui. Entre nous, moi aussi il m'exploite. Regarde tout le travail que je fais. Enfin avec l'aide d'un autre exploité je le suis un peu moins.
La statue (naïvement) : On a intérêt à se serrer les coudes.
(Un flot de gens parfaitement normaux -
Anabela : On dirait que l'annonce est proche. Bonjour. (Répondant :) Bonjour.
La statue : A moi personne ne me dit bonjour. On veut des droits.
Anabela : Oui.
Minette (arrivant en coup de vent) : Alors ? Ah, on ne sait pas encore. J'ai pu laisser la crêperie un moment mais avec André seul je ne suis pas tranquille.
Le jeune homme (arrivant) : J'ai pensé que...
Minette : Mais qu'est-
Le jeune homme : Oui mais j'ai pensé que Charles-
Minette : Et pourquoi ?
Anabela : Franchement on se le demande.
Le jeune homme : S'il n'est pas élu, avec son histoire de droits des statues, il sera poursuivi pour tentative de déstabilisation de la République.
Anabela : Allons donc.
Minette : C'est vrai qu'on l'entend dire.
La statue : On veut des droits.
Anabela : La bêtise des rumeurs.
(Trois statues apparaissent timidement au fond. Geoffroy va leur serrer la main solennellement.
Sur une bicyclette, en uniforme du gouvernement, arrive le marchand.)
La foule : Ah. -
(Le marchand a tiré une grande enveloppe d'un sac. Il se plante au beau milieu de l'assemblée. Il déchire lentement l'enveloppe.)
Minette (à Anabela, à voix basse) : Un petit pincement au coeur, Anabela ?
Anabela : Quand même, oui.
Le marchand : Etienne Lambre : trois voix; Jacques Vuibert : quinze voix; Charles-
Anabela (courant à la péniche) : Chéri ! Elu !
Charles-
Tous sauf Anabela : Ouh.
Le public : Ouh.
(Charles-
Charles-
(Applaudissements.)
RIDEAU